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Les pas de Humboldt y Bonpland sur les Andes (1801-1803) 

J. Alberto Navas Sierra
Traduit de l'espagnol au français par : Jean-Paul Duviols

© Vue des Cordillères et des Monuments des Peuples Indigènes, Humboldt.
On n’insiste pas assez sur le fait que l’expéditon de Humboldt et de Bonpland en Amérique et en particulier dans la partie des Andes de l’Amérique méridionale, a été un événement heureux pour l’histoire de la science européenne et américaine de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe. 

Après un pèlerinage scientifique obligatoire de deux ans et demi (Sud de l’Espagne, Iles Canaries, Capitainerie du Venezuela et île de Cuba) et lorsqu’ils naviguaient vers Panama et plus tard vers Guayaquil, par le hasard d’un quasi naufrage, les deux jeunes naturalistes européens (36 et 28 ans) se sont trouvés à Carthagènes des Indes (Nouvelle-Grenade). La réputation qui auréolait déjà Celestino Mutis et sa Flora de Bogota incitèrent Humboldt et Bonpland à remonter le beau fleuve Magdalena jusqu’à Honda et de là, à rejoindre la capitale de la Vide-royauté de Santa Fe. Ils décidèrent ensuite de parcourir à pied l’épine dorsale des Andes jusqu’à la Presidence de Quito pour atteindre enfin la capitale de la vice-royauté du Pérou.

Jusqu’à leur arrivée à Lima, Humboldt et Bonpland, gardaient l’espoir de se joindre à l’équipe des scientifiques français de l’expédition du capitaine Thomas Nicolas Baudin, envoyée par Napoléon. Elle devait partir vers les Mers du Sud, en passant par le Rio de la Plata, le détroit de Magellan et Lima, pour se diriger ensuite vers les îles de la Nouvelle Hollande (plus tard l’Australie), puis la côte sud orientale de l’Afrique, avant de regagner les ports français. Etant donné qu’au dernier moment, on avait décidé que Baudin, -successeur de Louis Antoine de Bougainville - devait naviguer en doublant le cap de Bonne Espérance et non pas par la route sudaméricaine, les espoirs de Humboldt et de Bonpland de partir en expédition vers les autres Indes, se trouvèrent de nouveau frustrés. Ils décidèrent alors de prendre la direction de la Nouvelle-Espagne, via Guayaquil pour aller ensuite par Cuba et par les Etats-Unis, avant de revenir en France. Sans qu’ils en aient fait expressément le projet, Humboldt et Bonpland menèrent à bien une expédition des plus enrichissantes qui dura près de six ans et qui transforma la vision qu’avait la vieille Europe du Nouveau Monde.

Humboldt et Bonpland passèrent 22 mois et demi dans les Andes sudaméricaines. Ils restèrent un peu plus de neuf mois en Nouvelle-Grenade et à Quito. Ils ne restèrent qu’un mois et 22 jours à Lima et autant de temps à Guayaquil, avant de prendre la direction d’Acapulco.

Les résultats et les expériences enrichissantes furent nombreux qu’ils recueillirent dans chacun des quatre séjours, en particulier dans la vice-royauté de Nouvelle-Grenade. A Santa Fé et à Quito, il faut souligner l’importance de leur rencontre avec une « illustration » régionale, réduite mais de qualité, qui se composait d’Espagnols et de Créoles : Parmi eux, il faut citer le remarquable cartographe et géographe de marine Joaquin Francisco Fidalgo, l’érudit de Popayan Joseph Ignacio de Pombo ; le botaniste, médecin, minéralogiste, directeur de la Flora et guide de la jeunesse, José Celestino Mutis de Cadix, les peintres de l’Expédition, Francisco Javier Matis et Salvador Rizo et le talentueux astronome et cartographe de Popayan, Francisco José de Caldas qui fut à la fois un proche collaborateur et un disciple de Humboldt et de Bonpland pendant leur séjour à Quito, ainsi que les membres de l’Escuela de la Concordia de Quito, de Eugenio Espejo.

Parmi tant d’autres trésors, Mutis a offert à Humboldt près de 100 magnifiques dessins faits à la main, relatifs aux genres et aux espèces de sa Flora de Bogota, choisis parmi les 4 mille que, selon Humboldt, contenait le phytotaphe que Mutis gardait jalousement. Avant que de telles planches fussent connues en Espagne, Humboldt s’empressa de les envoyer à ses collègues français du Musée de l’Institut, parmi lesquels Antoine-Laurent de Jussieu, Jean-Baptiste P. Lamarck et René L. Desfontaines, qui avaient promu l’Expédition Bougainville-Baudin.


Avec F.J. de Caldas, Humboldt a partagé deux premières scientifiques de l’époque, l’une botanique – la phyto-géographie - et l’autre astronomique – l’isopmétrie ( ?)-. En outre, Caldas fut le premier destinataire de la Géographie des plantes, écrite par Humboldt pendant son long séjour à Guayaquil. Caldas a donné à Humboldt une copie de sa carte du cours moyen du Rio Magdalena, qu’il devait compléter ensuite avec son dessin du fleuve entre Barrancas Nuevas et Honda. Pendant les neuf mois qu’il vécut aux côtés de Bonpland à Quito, F.J. Caldas s’initia à l’herborisation et à la taxonomie botanique.


Il y eut encore d’autres nouvautés scientifiques dont l’Europe bénéficia à la suite du passage de Humboldt et Bonpland dans les Andes. Humboldt dit avoir envoyé à l’Institut de Paris, plusieurs caisses pleines de graines de la flore de la Nouvelle-Grenade, en particulier une collection curieuse de quinquinas. On sait qu’Humboldt pris le parti de Mutis dans la polémique qui l’opposa au péruvien Sebastian Lopez Ruiz, à propos de la paternité de la découverte de l’arbre et de l’espèce qui devaient révolutionner la pharmacopée européenne. Humboldt a aussi envoyé au Musée – qui avait organisé les nouvelles expéditions vers les Mers du Sud-, de rares échantillons d’obsidiennes noires, vertes, jaunes et blanches, en même temps que des fossiles « assez problématiques ». Il a aussi envoyé au Musée des restes géologiques des volcans du Puracé, du Pichincha, du Cotopaxi et du Chimborazo, - qu’il a tous escaladés - sans parler d’autres objets dignes d’être conservés. Dans le même temps, Humboldt envoya des Andes à ses collègues de Madrid, de Londres et d’Upsala, plusieurs planches de la Flora, des graines et des morceaux de minéraux. Dans ses bagages, il emporta d’autres caisses remplies de graines et de minéraux, particulièrement ceux qu’il avait recueilli à Quito, à Loja, à Amazonas, à Jaén et dans les Andes péruviennes. Désirant continuer ces échanges, Humboldt a laissé un réseau de correspondants, comme Juan Tafalla (Guayaquil), Vicente Olmedo (Loja), Javier Matis (Santafé), quelques moines Capucins en Nouvelle Andalousie (bassin de l’Orénoque vénézuélien) et en Guyane.


L’exhubérance de la géographie et de la topographie andine envahirent peu à peu l’esprit et le souci scientifique de Humboldt. A peine venait-il de débarquer à Carthagène, alors qu’il était plongé dans la nature du Turbaco voisin – lieu de repos du vice-roi -, il réfuta la supposée dégénérescence de la nature américaine qui serait due au climat et à la géographie, contredisant ainsi les affirmations de Corneille de Pauw, du comte de Buffon et de l’abbé Raynal. Avant d’être des descendants de la race européenne, les habitants de la Caraïbe était ... un peuple de géants, semblable à Jupiter Olympien pour ce qui était de la force et de la conformation. Bien qu’il ait considéré comme regrettable et indigne l’emploi de bogas (rameurs des canots du Rio Magdalena) et celui de cargueros qui transportaient des personnes sur leur dos dans les Andes, ses qualités d’expert ont poussé Humboldt à confirmer sa théorie sophistiquée sur la mécanique musculaire et sur la physiologie humaine et de comparer ses expériences sur le galvanisme, qu’il avait commencées à Bayreuth en 1796.


Deux arbres énormes qui étaient inconnus en Europe lui firent considérer que les chênes semblaient des nains à leur côté. Il s’étonna aussi en voyant le palmier à vin et l’arbre à pain, merveilles inconnues sur le vieux continent. Sur la ligne de l’équateur, Humboldt n’hésita pas à croire que c’était dans les tropiques que l’on trouvait la plus grande perfection physique organique... pour ce qui concernait la dimension, la densité, la hauteur, l’intensité de la couleur des fleurs, la grandeur des corolles... tout en regrettant que tous ces éléments n’aient pas encore été classifiés de manière adéquate. En allant de Pasto à Quito, les cordillières, les canyons, les vallées, les cascades et les échos étaient ... plus grands et plus majestueux que ceux qu’il avait vus dans les Alpes suisses, dans les Pyrénées, les Carpathes, les Apennins et autres montagnes.


Une crevasse empêcha Humboldt et ses trois compagnons d’atteindre le sommet du volcan Chimborazo, près de Riobamba. Ayant atteint 5.917 métres, alors que tous croyaient qu’ils allaient mourir asphyxiés, Humboldt, comme s’il avait pu contempler toute la planète depuis la plus grande altitude sur l’équateur terrestre, a élaboré sa première épiphanie scientifique américaine, à savoir que toutes les catégories et toutes les espèces végétales du globe, pouvaient être comparées en fonction de l’endroit où elles se trouvaient sur la Terre. Plus spécifiquement, que les plantes n’existaient pas de façon isolée, mais qu’au contraire dans tous les continents – dans tous les écosystèmes dirait-on aujourd’hui -, les mêmes types de végétation coexistaient selon un ordre et une unité qu’il appela ensuite le Cosmos. Humboldt a réalisé un magnifique dessin où il a situé chaque plante avec son nom, selon l’altitude sur le Chimborazo, en y ajoutant les données d’humidité et de température.

Bibliographie de référence
- Arías de Greiff, Jorge: Algo más sobre Caldas y Humboldt: El documento inédito de una lista de instrumentos. En: Boletín de la Sociedad Geográfica de Colombia; 1970; XXVII (101); 3-12.
- De La Roquette, M : Oeuvres D'Alexandre de Humboldt. Correspondance inédite scientifique et littéraire. Ia Parte, París : Legrand et Al, 1869.
- Díaz Piedrahita, Santiago: El trayecto colombiano de Humboldt: Los Andes, gran revelación para el naturalistaCredencial Historia; Bogotá, febrero 2000 (122).
- Ette, Ottmar: La puesta en escena de la mesa de trabajo de Raynal y Humboldt. En: Leopoldo Zea; Mario Magallón (Comp.). Latinoamérica, fin de milenio. La huella de HumboldtMéxico: Instituto Panamericano de Geografía e Historia2000 (14); 31 y ss.
- Humboldt, Alexander:-Alexander von Humboldt en Colombia. Extractos de sus Diarios. Auswalhl aus seinen Tagebüchern. Edición bilingüe. Bogotá: Academia Colombiana de Ciencias Exactas, Físicas y Naturales;1982.
- Navas Sierra, Jesús Alberto: Personalidad, ciencia y contexto histórico en un sabio ilustrado: Humboldt y el Virreinato de la Nueva Granada (1801-1829). Madrid 1999; Arbor (642); 245 y ss.
- Humboldt y la universalización del conocimiento científico. Su paso por la Nueva Granada y nexos con Colombia; En: Frank Holl (Hrsg.): El Regreso de Humboldt. Exposición en el Museo de la Ciudad de Quito; Quito, Junio-agosto del 2001; 172-185.
- Puig-Samper, Miguel Ángel & Sandra Rebok; Alexander von Humboldt y el relato de su viaje americano redactado en FiladelfiaRevista de Indias, 2002, LXII (224); 69-84