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Aimé Bonpland dans le Cone Sud
 de Cédric Cerrutti

             Après la disparition de l’impératrice le 29 mai 1814 et la chute de l’Empire en 1815, Bonpland se rapproche des futurs Libertadores de l’Amérique espagnole, Simon Bolivar, Francisco Antonio Zea et Rivadavia. En 1816, il adhère aux indépendances de nombreuses colonies espagnoles d’Amérique et accepte l’offre de Riadavia de venir s’installer à Buenos Aires afin d’y créer un jardin botanique et un cabinet d’histoire naturelle.


Le 29 janvier 1817 Aimé Bonpland, sa compagne Adeline Delahaye et sa belle-fille Emma parviennent à Buenos Aires avec deux jardiniers, un matériel imposant et une ambition énorme. En effet, ce savant conquérant veut non seulement faire éclore une tradition scientifique dans cette partie de l’hémisphère sud, mais aussi organiser un voyage d’exploration destiné à compléter celui effectué avec Humboldt et lui donner ainsi sa part de gloire. Enfin, Bonpland espère joindre à ses recherches botaniques des travaux agricoles pour tirer profit de ses découvertes.

 

Mais l’instabilité politique du Río de la Plata empêche toute exploration du sous-continent jusqu’en 1820. Après trois ans d’activité scientifique très réduite, Bonpland profite d’une fragile accalmie politique dans le nord de la région pour se lancer enfin dans le voyage tant espéré en compagnie d’associés projetant le négoce de la yerba mate. Il parvient à Corrientes le 28 novembre 1820 avec l’espoir de se rendre ensuite au Paraguay. Malheureusement, le terrain choisi pour organiser une exploitation agricole est au centre des rivalités frontalières paraguayo-argentines. Le dictateur du Paraguay, Francia, se sentant menacé par la présence du Français au sein d’un territoire qu’il revendique, ordonne son enlèvement ainsi que la destruction de l’exploitation le 8 décembre 1821.

 

            Assigné à résidence dans l’ancien pueblo jésuite de Santa María de Fe, Bonpland suscite l’attention des dirigeants comme des savants des deux continents qui demandent en vain sa libération. Bonpland peut néanmoins développer une activité agricole et médicale lui permettant de vivre avec aisance. Après neuf ans et sept semaines de captivité, Francia décide de relâcher cet otage dont il n’a plus besoin en lui interdisant, toutefois, d’amener quelque bien que ce soit avec lui. Le 2 février 1831, Bonpland franchit le Paraná démuni mais libre.

 

Agé de 57 ans et attendu en Europe, le botaniste décide pourtant de demeurer en Amérique pour y mener sa grande exploration et y installer sa grande exploitation annihilées par la parenthèse paraguayenne. Renonçant à fonder un laboratoire américain, Bonpland pense d’abord collecter puis publier ses résultats scientifiques en France. Au cours des années 1830, il entretient dans ce but une correspondance régulière avec le Muséum national d’Histoire naturelle. Mais les obstacles politiques autant que le développement de ses activités économiques l’empêchent de mettre en œuvre son voyage. De fait, l’exploration cède la place aux excursions car l’exploitation de deux terrains agricoles acquis à São Borja en 1833 puis à Santa Ana en 1837, de part et d’autre de la frontière argentino-brésilienne, occupe désormais l’essentiel de son temps. Aussi très sollicité en sa qualité de médecin, « don Amado » se lie avec l’oligarchie locale et s’enracine irrémédiablement dans le sol américain.

 

Mais la guerre des Farrapos éclatant dans le sud du Brésil entre 1835 et 1845, puis surtout la Guerra Grande enflammant l’Argentine et l’Uruguay de 1839 à 1852, ruinent encore une fois les projets du Français. Engagé politiquement aux côtés des antirrosistas autant par conviction que pour défendre ses avoirs, les revers subis par ceux-ci en 1842 obligent Bonpland à « rester tranquille dans un petit coin ». Il s’y consacre à sa nouvelle famille fondée avec la Correntina Victoriana Cristaldo qui donne naissance à Carmen en 1843, Amadito en 1845 et Anastasio en 1847. Les contacts avec l’Europe savante se distendent, même si le voyageur Alfred Demersay qu’il rencontre en 1845 rappelle à la France l’existence du botaniste et obtient pour lui, une seconde fois, la légion d’honneur !

 

Après treize années de guerre, l’intervention brésilienne permet en 1852 la victoire finale des antirrosistas. Bonpland peut alors jouir de la paix et avec elle des nombreuses reconnaissances venues d’Europe comme d’Amérique. Parmi celles-ci, il en est une qui honore particulièrement 55 années d’une vie scientifique tumultueuse dont 41 passées sur le sol américain. Elle est due au gouverneur de Corrientes Juan Pujol, lequel décide la création d’un cabinet d’Histoire naturelle et en nomme Bonpland directeur le 10 octobre 1854. A 81 ans, le botaniste redouble alors d’efforts pour développer les sciences. En 1856, Pujol lui offre aussi le terrain de Santa Ana jusqu’alors loué. Presque 40 ans après son arrivée à Buenos Aires, don Amado voit se concrétiser ses projets scientifiques et économiques.

 

Le 10 mai 1858 Amado Bonpland, né Aimé Goujaud, s’éteint paisiblement dans son estancia de Santa Ana. Médecin, naturaliste, explorateur, entrepreneur, diplomate, éleveur et agriculteur, il laisse un héritage multiple. Il est aussi un constructeur et un passeur dont le parcours du naturalisme vers l’américanisme annonce l’émergence de cette nouvelle branche scientifique.